
Il y a quelques jours, Nora Bateson est venue à Montréal pour un atelier et une conférence. Nora Bateson est l’initiatrice de la pratique des « warm data labs », que je comprends comme une pratique qui nous amène à explorer la complexité de manière créative, c’est à dire vivante. Ces notes sont une forme de témoignage et ma propre pratique créative dans le contexte de cette rencontre. C’est un accueil de la possibilité de ce temps partagé, et du sens qui s’y attache, dans un adoucissement de l’oreille. Il y a aussi un mouvement de traduction qui se fait à plusieurs niveaux: de l’observation, à l’idée, à la langue (l’Anglais), à la parole, à l’écoute, à l’autre langue (le Français), à l’écrit. Il y a des bouts qui s’y perdent (discontinuités), des fragments qui restent (continuités) et des formes qui surgissent (émergences).
Merci à l’organisme Brèches pour l’invitation dans ce territoire de la rencontre.
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C’est seulement quand le coeur se brise qu’on apprend à jouer la mélodie.
Qu’est-ce qu’on entend par information? Comment est-ce que l’information devient-elle vivante?
Il y a des choses qu’on ne peut pas comprendre en décrivant leurs différentes parties. Considérons un portrait. Un enfant en situation de vulnérabilité. Un marais. Un système atmosphérique. Une colonie de termites. Une branche de sapin.
Qu’est ce que je peux être quand je suis avec toi? Qu’est-ce que tu peux être quand tu es avec moi? Quelle(s) pratique(s)peuvent nous ouvrir de nouvelles possibilités d’être et devenir ensemble?

Rien de nouveau dans ces questions. Mais elles nous demandent de nous rappeler à nous-mêmes et à la vie. Elles nous demandent de redécouvrir nos vies comme un processus créatif, et la créativité comme un processus vivant, au-delà des egos et d’un idéal de productivité dans lequel nous avons été conditionnés à chercher le sens de la vie.
Comment se préparer pour le présent ET pour le futur? Une question qui nous parvient à travers le temps – sans justifier le passé jusqu’à refuser le changement, ni le détester jusqu’à nous détester nous-mêmes.
C’est un appel à faire bouger les marges de la créativité vers un autre espace que celui auquel on l’a assignée. Comment est-ce qu’un marais pratique son devenir-marais? Un marais nous demande de penser autrement – comment penser comme un marais? Comme une communauté d’organismes qui changent et évoluent? C’est dans ce mouvement, et dans les relations qui conditionnent et sont changées par ce mouvement, que surgissent les nouvelles possibilités. La possibilité de la continuation de ce devenir-marais repose sur la discontinuité de certains des éléments de ce marais. Dans ces conditions, qu’est-ce qui (se) continue? Qu’est-ce qui (se) discontinue? La nature ne fait jamais une chose à la fois. Où le marais s’arrête-t-il? Où est-ce que je commence? Pour qu’un marais continue, c’est toute une communauté d’êtres vivants qui doit se trouver en relation avec elle-même. Tous changent ensemble.
Et nous, les humains, dans tout ça? On s’assoit autour d’un feu, et on raconte des histoires. On crée de nouvelles possibilités, on respire de nouvelles vies. Est-ce que les conversations sont des marais? Qui peux-tu être quand tu es avec moi? Qui puis-je être quand je suis avec toi? Quand nous sommes en conversation, où est-ce que « moi » arrête? où est-ce que « toi » commence?

Le plus beau cadeau qu’on peut se donner, le plus bel acte d’amour qu’on peut se faire, est de se laisser exister dans tous nos contextes, sans chercher à se définir. Nous existons tous dans des communautés multiples, qui se rencontrent et se recoupent dans tous les sens.
Comme un marais.
Notre tâche? Nourrir les possibilités dont on ne sait pas encore qu’elles seront nécessaires. S’apprêter: devenir prêts. Quel est le processus créatif du devenir prêt, pour répondre de manières qu’on imagine pas encore à des crises qu’on ne voit pas encore?
Un process de devenir ensemble. Un processus de connecter. Un processus d’entrer en relation. Un processus d’entrer en commun.
Principe pour aider un système à mieux devenir ce qu’il peut être: le connecter à plus de lui-même.
Qu’est-ce qu’on fait quand on se raconte des histoires? On vit dans le langage de la complexité. Toute la complexité du monde vit dans les histoires qu’on partage et qu’on re-partage, différentes à chaque fois. On ne répète jamais la même histoire exactement de la même manière. Ça tombe bien – c’est un bon moment pour se perdre un peu ensemble. On se perd pour trouver ensemble où on va. Et comment entrer en mouvement vers de nouvelles manières d’être, sans se désorienter? En acceptant que cette expérience d’une désorientation collective est peut-être ce dont nous avons besoin, en ce moment.
La flexibilité pourrait se définir comme la possibilité du changement sans engagement.
Au moment où quelque chose émerge, ce quelque chose a été présent, s’est accumulé et s’est déjà transformé depuis longtemps. Ça peut être dangereux, et ça peut porter une étincelle de vie, d’amour, de soin. Qu’est-ce qui vit sous la surface? Comment voir la rivière dans la rivière? Comment porter attention et prendre soin de ce qui prend forme et évolue dans les profondeurs? De ce qui crée, suivant des modalités que nous ne voyons pas? Comment porter attention à ce qui attend d’affirmer la vie? Il y a tant de travail à offrir dans l’invisible – la possibilité de devenir ensemble se révèle à travers les histoires que nous partageons, autour de quelque chose que nous ne semblons pas encore reconnaître et dont nous avons pourtant besoin.
Un devenir marais.