une méditation au temps du virus
nous sommes en deuil
du sens donné aux
simples embrassades
nous sommes en deuil
de la confiance contenue par
une poignée de mains
nous sommes en deuil
de la douceur du toucher
nous apprenons à
laver nos mains
en pensant aux ancêtres
qui nous ont tenus dans leurs bras
qui nous ont tenus dans leurs coeurs
avant de pouvoir parler
nous sommes en deuil
des gestes qui nous ont porté jusqu’ici
nous sommes en deuil de la terre
qui soutient nos pas
nous apprenons à être comme l’eau
à couler dans les interstices de l’imagination
à laisser nos flots se rencontrer
au-delà des portes fermées
nous sommes en deuil
de la satisfaction
immédiate
de nos désirs
et de tant d’autres fictions
détachées de la terre
et du temps
nous apprenons à attendre
à respirer
à sentir
à vivre la distance
à écouter le bruit du temps
à voir défiler nos pensées
à attendre nos rêves
nous apprenons à désirer
nous apprenons à sentir l’absence
nous apprenons une autre présence
nous apprenons à être plus
en faisant moins
nous sommes en deuil
du timbre des voix
de l’odeur des corps
du toucher de la peau
nous apprenons à voir
les détails de la beauté
nous apprenons à pratiquer la mémoire
à sentir nos corps qui vivent
à écouter le souffle
passer dans nos corps
et retourner au monde
nous apprenons à sentir
ce qui circule en nous
ce qui donne forme
ce qui nous relie
ce qui nous retient
ce qui coule à la surface de la terre
ténue et tendre couche de vivant
dans l’immensité
nous sommes en deuil
de notre innocence
de notre illusion d’invincibilité
nous apprenons
à être vulnérables
nous apprenons
que le souffle qui
nous donne la vie
qui nous aide à faire du sens
qui nous donne notre pouvoir
d’agir et d’être dans le monde
nous apprenons que le souffle
qui nous tient debout à la surface du monde
est une porte d’entrée vers le rien
nous apprenons que le souffle
qui nous lie les uns aux autres
porte aussi la mort
nous apprenons que le souffle
qui me rapproche de ce qui vit
de ce qui naît
à l’autre bout du monde
contient aussi la fin d’une possibilité
contient aussi la fin de ma possibilité
contient aussi d’autres possibles
nous apprenons que nous n’étions tous
en définitive
rien de plus que
des poussières d’étoiles
rien de moins miraculeux que
des poussières d’étoiles
et des multitudes
et des mensonges
et des légendes
nous apprenons la vérité des corps
et des distances
et du temps qui passe
nous sommes en deuil
de notre innocence
et du sommeil de l’habitude
nous apprenons
à vivre
à habiter
à respirer
à prendre soin
à faire confiance
à donner
à aimer
à être.