
J’étais récemment avec un client pour concevoir ensemble un atelier participatif pour une quinzaine de personnes, dans le but de les amener à penser collectivement à un projet de centre qui sera un atout pour leur quartier.
C’est un processus assez simple, où on alterne entre des moments de réflexion individuelle, des moments en petits groupes et des moments collectifs de dialogue en cercle. Dans ces contextes, qui fait quoi et où (dans quels espaces) est important. La conception d’un processus participatif est donc un travail de chorégraphie pour savoir quand utiliser quel espace, avec qui. Quelle est la signification de notre organisation dans l’espace? À quoi ça sert? Il y a une intention à chaque moment et chaque élément d’un tel atelier, et l’espace ne fait pas exception à cela.
Durant cette rencontre, ce qui m’a frappé c’est l’importance de cette respiration entre des moments concentrés ensemble, autour du centre du cercle, et des moments divergents où on explore une question seul ou en groupe. Le cercle est la structure qui marque physiquement la rencontre. C’est une manifestation spatiale forte de quelque chose qu’on cuisine tous ensemble: un creuset dans lequel on distille une intention commune et à partir duquel un sens et une forme peuvent prendre corps. Chaque personne assise dans le cercle peut voir le centre, peut voir les autres. Nous sommes tous de la même taille, les deux pieds collés au sol. Et même s’il y subsiste des différences de pouvoir entre les membres du cercle, la structure manifeste l’intention de donner une valeur à la voix et la présence de chaque personne. Contrairement à ce qu’on entend parfois, ce n’est pas le lieu qui égalise les différences, au contraire. Le cercle est un espace créé et tenu de manière très intentionnelle, où la différence et la divergence peuvent être nommées, accueillies et honorées.
Le cercle est la structure dans l’espace où la rencontre a lieu. Quand le temps vient de commencer le travail qui nous amène ensemble, tous sont invités à y prendre place. C’est l’espace où on est invité à parler avec intention et à mettre la parole et la présence au service de ce qui nous réunit. C’est aussi l’espace où on est invité à écouter et accueillir collectivement. On y revient toujours: c’est l’espace où on souffle après avoir pris une respiration à l’extérieur.
Sortir du cercle, c’est s’extraire du collectif pour aller prendre une respiration ailleurs: réfléchir individuellement à une question, prendre un moment pour explorer un enjeu plus profondément avec d’autres personnes. On travaille seul ou en petit groupe, on diverge. On va se nourrir à l’extérieur du cercle. Puis on y revient pour converger à nouveau et nommer ensemble ce qui est en train de devenir: nommer les clartés, nommer les tensions aussi. C’est une manifestation spatiale de la communauté qui est entrain de devenir, sous nos yeux, dans toute sa complexité.
C’est ce mouvement, cette respiration que je peux tenir de manière complètement présente et intentionnelle en tant qu’hôte de processus. Les personnes qui sont invitées et présentes dans le cercle tiennent l’expertise de leur contexte: ils amènent leurs vies, leurs expériences, leurs savoirs, leurs intuitions, leurs questions, leurs craintes, et leurs rêves. Le rôle d’un hôte, c’est vraiment de s’assurer qu’on respire ensemble, qu’on partage le même souffle durant le temps que nous partageons.
L’espace nous rend le service d’être une manifestation physique de ce rôle d’hospitalité: on navigue dans différents espaces pour différents types de travail. Ces espaces ont différentes qualités: pour un petit groupe, ou une conversation à deux, on crée une bulle d’intimité. Pour travailler sur un document, rentrer dans une question ou écrire quelque chose à plusieurs, on peut placer des tables. Dans chaque cas, la fonction de l’espace est différente, l’espace s’organise selon des intentions différentes, et cela doit être reflété. On crée des seuils entre les différents moments d’un temps passé ensemble. Changer d’espace et changer de place fait partie de ces seuils: on se prépare à fonctionner différemment en changeant de place.
Revenir en cercle après avoir travaillé un peu autrement, c’est passer un autre seuil, pour porter la responsabilité de ce qui s’est dit ou créé dans le moment qui a précédé. Quand ces éléments de clarté ou de tension sont nommés, ils entrent eux aussi dans un autre espace et deviennent partie du collectif. Tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait dans cet espace du cercle est important, et prend une valeur particulière: dans cette transition, on passe de quelque chose qui existe entre un petit groupe d’individus à quelque chose qui a une existence dans le collectif. Le cercle accueille cela.
L’espace dans lequel on travaille collectivement n’est jamais neutre, ou détaché du processus et du produit final. Il est à la fois l’écrin et l’hôte. Comment on l’aborde et on l’aménage est une fractale de ce que nous essayons de créer dans le monde. En prendre soin, y mettre de l’intention, c’est donner une charge supplémentaire au contenant que nous créons. Plus ce contenant est chargé, plus on se donne de chances de réussir à canaliser l’intelligence collective au service de notre intention commune.
Nos espaces nous accueillent. Prenons en soin, et ils prendront soin de nous.