
D’après David Whyte, 2015 — “NAMING” In CONSOLATIONS: The Solace, Nourishment and Underlying Meaning of Everyday Words.
aimer
est une expérience humaine
merveilleuse et poignante
une trajectoire
dans la vulnérabilité
mettre un pied
dans un espace
où les choses
ne se ressemblent pas
et où le vrai se transforme
et où les mots se réinventent
et où le moi
et où le nous
grandit
je me découvre
je m’apprend
je me dévoile
je me mets à nu
à vouloir nommer
qui j’aime
ce que j’aime
pourquoi j’aime
comment j’aime
je me blesse
je m’écorche
je m’essaie
toujours trop tôt
est-ce que je peux voir
au commencement
quand je me donne
la rivière qui nous rejoint?
et comment elle se transformera?
et quelle est sa vraie profondeur
quand je m’y trempe les orteils?
et quelle est la force du courant
qui m’entraîne
vers l’autre
et vers moi
vers mon devenir
avec l’autre?
quand je nomme
ma réciprocité
quand je nomme
ma transparence
quand je nomme
ce que sont mes ancrages
quand je nomme
où sont mes murs
quand je nomme
mes sables mouvants
quand je nomme
les recoins
où se cachent les fantômes
qui me gardent éveillé
je sais aussi
que l’amour ne s’est pas encore dévoilé
que je prends une chance
avant que la fleur soit prête
et je sais aussi
que la fleur connaît le cycle du temps
elle s’ouvre le jour
et se referme la nuit
elle s’étend quand l’air est humide
et se protège quand il s’assèche
je ne sais jamais complètement
où je me trouve
dans quelle eau
et dans quelle vie
et quand la rencontre
n’a pas lieu
ou quand je sors de la rivière
blessé et fatigué
et replongé
dans les questions
je connais le deuil
et la déception
et le repli en moi-même
et perdu dans le manque
je perds de vue
ce qui est présent
ce qui est possible
dans l’espace que nous créons
ensemble
en vivant
et perdu dans le manque
je me retiens à
un objet
que j’attends
mais qui n’est pas là
et n’a jamais été là
et perdu dans le manque
je confonds la carte
et le territoire
le lit de la rivière
et la rivière
et perdu dans le manque
je perds de vue
le possible
qui ne ressemble pas à
ce que je croyais attendre
et perdu dans le manque
je me retire dans l’égo
où je me sens
laissé pour compte
sur le côté
déçu et trompé
mais ce qu’on aime dans la fleur
c’est la vie
et l’absence est
une l’invitation
à aller plus loin
toujours plus loin
et plus profond
vers l’inconnu
vers le vrai
à la limite du connaissable
une nouvelle forme
d’affection
à recréer
encore
et encore
une invitation vertigineuse
et aveugle
et courageuse
et l’absence est
une invitation
la seule vraie invitation
je veux apprendre à créer
cet espace partagé
et vivant
un espace rivière
un espace mouvement
la rivière n’a pas de forme
elle est le mouvement
et c’est d’être dans le mouvement
que je veux apprendre
pas de voir le lit de la rivière
mais la rivière elle-même
j’apprends à aimer
le territoire
aimer est un verbe
d’action
aimer est apprendre
dans une pratique
d’humilité
seulement dans l’humilité
je peux reconnaître
ses incarnations
et j’ai confiance
et j’apprends à être confiant
parce qu’aimer m’apprend
à pratiquer la confiance
en m’apprenant à regarder
à chercher
la beauté et la vérité
dans les recoins inattendus
tout autour de moi
et en détachant mes yeux
de la carte que le monde m’a donnée
pour lire ma vie
sans savoir
pourquoi
quand
et comment
et sous quelle forme
ce que je donne
me sera retourné
enveloppé de mystère
nous voulons nommer l’amour
mais ce qui vaut la peine
de vivre
et d’aimer
ne tient pas dans
les petites boîtes
que nous prépare la vie
ce qui vaut la peine d’aimer
n’a pas de nom
nous voulons nommer l’amour
mais c’est l’amour qui nous nomme
nous voulons appeler l’amour
mais c’est l’amour qui nous appelle
et qui nous parle
et qui nous fait bouger
avant même
qu’on le voie
avant même
qu’on sente sa présence
nous voulons comprendre l’amour
mais c’est l’amour qui nous comprend
avant que nous viennent
les mots justes
pour décrire
le monde qui se forme
sous le mouvement
de ses couleurs
une invitation
courageuse
à l’art d’aimer
sans nommer