Aimer sans nommer — une méditation

Photo by Martin Sattler on Unsplash

D’après David Whyte, 2015 — “NAMING” In CONSOLATIONS: The Solace, Nourishment and Underlying Meaning of Everyday Words.

aimer

est une expérience humaine

merveilleuse et poignante

une trajectoire

dans la vulnérabilité

mettre un pied

dans un espace

où les choses

ne se ressemblent pas

et où le vrai se transforme

et où les mots se réinventent

et où le moi

et où le nous

grandit


je me découvre

je m’apprend

je me dévoile

je me mets à nu

à vouloir nommer

qui j’aime

ce que j’aime

pourquoi j’aime

comment j’aime

je me blesse

je m’écorche

je m’essaie

toujours trop tôt


est-ce que je peux voir

au commencement

quand je me donne

la rivière qui nous rejoint?

et comment elle se transformera?

et quelle est sa vraie profondeur

quand je m’y trempe les orteils?

et quelle est la force du courant

qui m’entraîne

vers l’autre

et vers moi

vers mon devenir

avec l’autre?


quand je nomme

ma réciprocité

quand je nomme

ma transparence

quand je nomme

ce que sont mes ancrages

quand je nomme

où sont mes murs

quand je nomme

mes sables mouvants

quand je nomme

les recoins

où se cachent les fantômes

qui me gardent éveillé

je sais aussi

que l’amour ne s’est pas encore dévoilé

que je prends une chance

avant que la fleur soit prête

et je sais aussi

que la fleur connaît le cycle du temps

elle s’ouvre le jour

et se referme la nuit

elle s’étend quand l’air est humide

et se protège quand il s’assèche

je ne sais jamais complètement

où je me trouve

dans quelle eau

et dans quelle vie


et quand la rencontre

n’a pas lieu

ou quand je sors de la rivière

blessé et fatigué

et replongé

dans les questions

je connais le deuil

et la déception

et le repli en moi-même


et perdu dans le manque

je perds de vue

ce qui est présent

ce qui est possible

dans l’espace que nous créons

ensemble

en vivant

et perdu dans le manque

je me retiens à

un objet

que j’attends

mais qui n’est pas là

et n’a jamais été là

et perdu dans le manque

je confonds la carte

et le territoire

le lit de la rivière

et la rivière

et perdu dans le manque

je perds de vue

le possible

qui ne ressemble pas à

ce que je croyais attendre

et perdu dans le manque

je me retire dans l’égo

où je me sens

laissé pour compte

sur le côté

déçu et trompé


mais ce qu’on aime dans la fleur

c’est la vie


et l’absence est

une l’invitation

à aller plus loin

toujours plus loin

et plus profond

vers l’inconnu

vers le vrai

à la limite du connaissable

une nouvelle forme

d’affection

à recréer

encore

et encore

une invitation vertigineuse

et aveugle

et courageuse

et l’absence est

une invitation

la seule vraie invitation


je veux apprendre à créer

cet espace partagé

et vivant

un espace rivière

un espace mouvement

la rivière n’a pas de forme

elle est le mouvement

et c’est d’être dans le mouvement

que je veux apprendre

pas de voir le lit de la rivière

mais la rivière elle-même

j’apprends à aimer

le territoire


aimer est un verbe

d’action

aimer est apprendre

dans une pratique

d’humilité

seulement dans l’humilité

je peux reconnaître

ses incarnations


et j’ai confiance

et j’apprends à être confiant

parce qu’aimer m’apprend

à pratiquer la confiance

en m’apprenant à regarder

à chercher

la beauté et la vérité

dans les recoins inattendus

tout autour de moi

et en détachant mes yeux

de la carte que le monde m’a donnée

pour lire ma vie

sans savoir

pourquoi

quand

et comment

et sous quelle forme

ce que je donne

me sera retourné

enveloppé de mystère


nous voulons nommer l’amour

mais ce qui vaut la peine

de vivre

et d’aimer

ne tient pas dans

les petites boîtes

que nous prépare la vie

ce qui vaut la peine d’aimer

n’a pas de nom


nous voulons nommer l’amour

mais c’est l’amour qui nous nomme

nous voulons appeler l’amour

mais c’est l’amour qui nous appelle

et qui nous parle

et qui nous fait bouger

avant même

qu’on le voie

avant même

qu’on sente sa présence

nous voulons comprendre l’amour

mais c’est l’amour qui nous comprend

avant que nous viennent

les mots justes

pour décrire

le monde qui se forme

sous le mouvement

de ses couleurs


une invitation

courageuse

à l’art d’aimer

sans nommer

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